Les enfants de Marseille et la mer

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27 février 2025
Jour de Fête

À Marseille, ville ouverte sur la Grande Bleue, l’accès à la mer tout comme sa connaissance ne coulent pas forcément de source. Pour de trop nombreux habitants, la Méditerranée reste, paradoxalement, un mystère. Mais depuis peu, de nombreuses actions tous azimuts sont proposées. Avec un objectif clair : développer une culture collective de l’univers marin pour mieux le protéger.

 

Reportage : Caroline DELABROY

Illustrations : MALIJO

« Tu connais ou pas, on appelle ça le cheval de mer… » « Un hippocampe ! », clame un petit Axel. « Et ça, cela ne ressemble pas du tout à l’animal vivant, c’est de la même famille que le poulpe et le calamar », continue Fanny Eychenne, animatrice nature pour la ville de Marseille, en pointant un os de sèche, avant de prendre en main une autre curiosité : « On en trouve partout sur nos plages… C’est une pelote de fibres de posidonie, elle joue un rôle important pour protéger de l’érosion. » Succès assuré enfin avec « le plus gros coquillage de Méditerranée, la mer qui est juste là ; il fait 1,10m, vous pouvez rentrer dedans ! » Les regards filent vers la plage, reviennent vers l’animatrice du “ Hublot ”. Dès les beaux jours, depuis 2020, le lieu ouvre ses portes dans un ancien poste de secours sur la promenade littorale, à quelques pas de l’escale Borély. Il accueille aussi bien le grand public – des familles surtout – que les écoles et, durant les vacances d’été, les centres de loisirs. L’an dernier, près de 5 000 petits et grands sont passés ici.
« Cela faisait des années que l’on rêvait d’un lieu de sensibilisation et de découverte de la mer et du littoral sur les plages », sourit Laure Vanaker, coordinatrice du Hublot et de projets éducatifs. Car, explique-t-elle, « à Marseille, beaucoup de gens ne sortent pas de leur quartier, sauf parfois pour aller à la plage. » Alors un espace comme celui-ci, gratuit, ouvert à tous et situé sur le chemin d’un bain de mer, cela fait sens.

« L’idée, c’est d’apporter une découverte, un émerveillement, pour susciter chez les enfants un intérêt particulier et nouveau », énonce sa responsable. Belles photos à l’appui, ils découvrent aussi les récifs artificiels immergés au large, qui ont permis en dix ans de restaurer et repeupler le milieu marin. Régulièrement présentes sur le site, des associations environnementales proposent des animations sur la biodiversité. « Quand on connaît bien les choses, on est plus enclin à les protéger », poursuit Laure Vanaker, qui prend le soin d’ajouter : « On ne veut pas faire culpabiliser les enfants mais faire en sorte que les gestes du quotidien deviennent naturels. »

Des ateliers pour apprendre
à déchiffrer la mer

 

« La mer, ils peuvent en avoir peur », observe aussi Fanny Eychenne, qui intervient régulièrement dans des classes dans le cadre de projets au plus long cours, en particulier à la Pointe-Rouge avec le CIDMer, le centre d’initiation et de découverte de la mer, autre lieu d’éducation à l’environnement développé par la ville de Marseille. « Notre rôle, continue-t-elle, est de rassurer, d’expliquer par exemple que telle espèce pique, telle autre non, d’apprendre à déchiffrer, comme lorsque l’on va en forêt pour la première fois. »

Lors de certaines sorties, elle équipe les enfants d’un filet à plancton. « Ils ont l’impression qu’ils ne pêchent rien ! » Les observations au microscope révèlent ce que leur petite pêche d’eau contient en réalité de végétal et d’animal. Elle aussi mesure le grand écart entre des enfants « très calés sur l’environnement marin », « qui savent que le sar, la girelle ou la saupe sont des poissons qu’ils sont susceptibles de voir juste là », « pour qui la pêche est une tradition familiale », par loisir ou besoin quotidien. Et d’autres, souvent la majorité, qui, sortis de la base, « outre les étoiles de mer et les oursins », ne connaissent pas grand-chose. « Alors qu’il y a d’autres lieux où l’on peut être connectés à tout ça, à l’étal du poissonnier comme je leur dis, pour savoir que dans un poisson, il y a des arêtes, un squelette. »

Bientôt plus de produits de la mer
dans les assiettes des écoliers

 

À la cantine, les jeunes Marseillais ont régulièrement dans leurs assiettes des calamars à la romaine, du colin d’Alaska, façon meunière ou en sauce, ou des dés de poisson blanc et du courmentier de poisson dont on sait seulement qu’ils sont labellisés pour ces derniers “pêche durable”.

Des menus concoctés depuis une cuisine centrale par Sodexo, avec qui la ville de Marseille est en contrat de délégation de service public jusqu’à l’été 2025 pour l’ensemble des 55 000 repas servis chaque jour dans les 320 restaurants scolaires marseillais. La ville souhaite poser un « premier acte » pour remunicipaliser la restauration scolaire – le sujet a été un axe fort de la campagne du Printemps marseillais (divers gauche) aux dernières élections municipales. Elle doit ainsi lancer d’ici à 2028 une douzaine de cuisines de proximité, « qui feront entre 3 000 et 5 000 repas par jour », a assuré en juin Pierre Huguet, adjoint au maire en charge de l’éducation et des cantines scolaires, lors d’une présentation à la presse. Celle-ci avait lieu au domaine de Montgolfier, futur pôle agricole sur les hauteurs de Sainte-Marthe, dans les quartiers Nord de Marseille : l’idée est de faire davantage appel à des producteurs locaux et de développer les circuits courts. Sans doute plus simple pour le maraîchage que les produits issus de la mer. « Notre ambition est de nourrir, au moins une fois dans l’année, 48 000 assiettes issues de la pêche aux petits métiers, indique toutefois à Jour de Fête Hervé Menchon, adjoint à la biodiversité marine, à la mer et au littoral. Ce ne sera pas le même jour dans toutes les écoles, la pêche artisanale ne le permet pas, mais en rotation. Le projet est déjà bien avancé. »

« Faire prendre conscience que l’individualisme en mer, cela n’existe pas. »

Pour l’élu, il s’agit là de « faire oeuvre de pédagogie sur l’alimentation, l’éducation au goût mais aussi le local, les impacts bénéfiques sur l’environnement et la biodiversité ». Dans le même esprit, il a demandé que soit doublé, avant la fin du mandat, le nombre d’aires marines éducatives. Actuellement, six classes profitent de ce programme de cogestion et de protection d’un espace naturel, notamment sur le Frioul. Le Conservatoire du littoral y rénove en outre la Villa Marine, un ancien bâtiment militaire sur la plage Saint-Estève, où la ville, cogestionnaire, compte accueillir des enfants pour les sensibiliser aux enjeux de protection de l’archipel : « On va y apprendre la steppe du Frioul, les oiseaux marins, tout un écosystème », énumère Hervé Menchon. Il table aussi beaucoup sur la nouvelle marina construite pour accueillir les épreuves de voile des Jeux olympiques qui, dès cette année scolaire, devrait pouvoir bénéficier aux scolaires. « Près de 9 000 élèves du primaire vont accéder à la mer, contre 4 000 aujourd’hui, cela correspond au nombre de classes qui s’apprêtent à entrer au collège, assure l’adjoint au maire. Ils vont réaliser une expérience en mer, soit de la voile, soit du paddle, de la planche à voile, du kayak, tout ce qui permet d’être au plus près de l’eau. »

Dans une ville où apprendre à nager est une gageure, étant donné le manque d’équipement municipal – durant le primaire, un écolier n’ira que quelques semaines d’une année scolaire à la piscine – l’accès à la mer, sous toutes ses formes, représente un véritable défi. « Toutes ces actions visent à mettre la jeunesse marseillaise au contact de la mer, relate Hervé Menchon, que ce soit pour sensibiliser à la biodiversité, pratiquer le nautisme, voir les effets négatifs des mauvais gestes sur la pollution marine, prendre conscience aussi que l’individualisme en mer, cela n’existe pas, on le comprend très bien si on fait le mariole sur le bateau, on peut mettre les autres en danger. »

Soit toute une « culture de la mer », « capable d’accueillir des projets qui rassemblent, de sortir de cette prophétie d’une ville qui s’effondrerait sur elle-même, tournée vers le narcotrafic ». Une culture, à l’écouter, trop longtemps « absente de Marseille ou alors réservée à des CSP+ et à la classe moyenne aisée » alors que « l’essence de Marseille est d’être une capitale de la mer ».

Reste que les axes de progrès sont nombreux, sur les transports notamment, pour un meilleur accès à la mer. « L’espace balnéaire est surtout concentré sur le littoral sud, des études sont en cours pour agrandir les plages de Corbières, déplacer et moderniser la base nautique, avec une plus grande capacité d’accueil », indique l’adjoint au maire. Il rêverait d’une baignade au pied du Mucem (Musée des cultures méditerranéennes), mais le projet a capoté devant les « travaux lourds » de mise en sécurité, « qui seraient de la responsabilité de la métropole ». « Pour poursuivre aujourd’hui une action en faveur de l’environnement marin, il va falloir se heurter à nos limites, souffle Hervé Menchon. Quand on a découvert les fonds marins jonchés de plastique, on n’a pas supprimé leur production. Il faut mettre en place un système de consignes, transformer l’industrie de l’emballage, c’est la suite. On espère que cette jeune génération aura la volonté d’interpeller les décideurs qui peuvent agir à un autre niveau, plus haut que les collectivités locales. On leur donne, nous, les outils de réflexion pour demain. »

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