Crise sanitaire : comment sortir la restauration collective de l’ornière ?
Fermées depuis le 12 mars, la majorité des cantines n’ont toujours pas rouvert, ou à effectif réduit, et cela risque de durer jusqu’à la rentrée de septembre. Tandis que des millions de convives redécouvrent le casse-croûte maison, c’est tout un pan de l’économie qui vit dans l’attente. L’incertitude domine notamment chez les opérateurs bio et locaux qui travaillent en lien direct avec la restauration collective. Dans ce contexte, quelle responsabilité et quels moyens d’action pour les collectivités et les décideurs publics ?
À l’arrêt depuis deux mois. Panne sèche. Une grande partie des cuisines de la restauration collective, qui desservent quelque 11 millions de repas quotidiens, tiennent en suspens toute une filière, et sans doute jusqu’à la rentrée prochaine : producteurs, transformateurs, distributeurs, services de collectivités, cuisiniers, personnels techniques… Le forfait, particulièrement sévère en restauration scolaire, épicentre du développement des politiques alimentaires durables avec la loi Egalim, est un peu moins brutal dans la restauration sociale des hôpitaux et des Ehpad. Mais la réalité économique est là : le grippage de l’engrenage est inédit et d’une grande ampleur.
Pour les opérateurs impliqués dans la restauration durable, c’est un sérieux coup dur. « Pendant les deux mois de confinement, la plupart de nos vingt plates-formes régionales étaient à l’arrêt, témoigne Vincent Rozé, coprésident du réseau Manger Bio, principal fournisseur de produits bio et locaux de la restauration collective. Les cinq ou six structures qui ont poursuivi leur activité à hauteur de 20 à 40% sont celles qui avaient diversifié une partie de leurs débouchés, notamment en magasins spécialisés. Mais la crise touche tout le monde et sans doute pour une durée de six mois. » Après la gestion d’urgence et le recours pour certaines plateformes aux prêts garantis par l’État, viendra le temps de se préoccuper d’un plan de relance.
« Cette crise soulève plusieurs questions, explique Stéphane Veyrat, directeur de l’association. La première est de savoir si, dans les territoires qui ont impulsé des politiques de qualité, on ne s’est pas limité à la seule restauration collective. »
Stéphane Veyrat, directeur d’Un Plus Bio
En attendant, que font les collectivités et les autorités publiques pour éviter la casse ? Quelques initiatives ont émergé ça et là, notamment au sein du Club des Territoires Un Plus Bio, du réseau Agores et des labellisés « En Cuisine » mais, dans l’ensemble, il ne s’est pas passé grand chose pour corriger les dégâts. « Cette crise soulève plusieurs questions, explique Stéphane Veyrat, directeur d’Un Plus Bio. La première est de savoir si, dans les territoires qui ont impulsé des politiques de qualité, on ne s’est pas limité à la seule restauration collective. Changer de manière de voir l’alimentation doit irriguer tout le territoire, ce qui signifie sortir des cuisines des cantines pour aller dans la cité, comme dans les commerces alimentaires de proximité. Aujourd’hui, par exemple, un boulanger qui fait du pain bio pour les cantines continue de vendre le même pain en dehors des cuisines. Et puis la crise soulève un paradoxe. Si la restauration scolaire est très touchée, on constate qu’une partie de la restauration sociale qui continue de fonctionner, celle des hôpitaux, des Ehpad et des établissements médico-sociaux, aurait pu tendre la main au monde paysan, aux plateformes spécialisées. Or la réalité nous montre des signes bien décevants. Alors qu’elle continue de recevoir des deniers publics pour assurer sa fonction dont sa mission de restauration, elle continue très majoritairement de ne pas s’approvisionner en bio et en local».
À ces difficultés économiques s’ajoute un enjeu social et de santé publique de cantines qui ne viennent plus en soutien des convives les plus fragiles. Des dizaines de milliers d’enfants qui bénéficiaient de repas équilibrés chaque jour de la semaine se retrouvent au sein de familles dont certaines, en situation de fragilité, ne parviennent pas à se nourrir convenablement. Tandis que le nombre de candidats grossit de jour en jour aux portes des banques alimentaires et associations caritatives pour s’alimenter, une question s’impose: ne pouvait-on pas envisager que les politiques publiques d’offre alimentaire puissent être réparties au-delà des restaurants scolaires ? « On pourrait imaginer que les repas réalisés par les cantines soient distribués en nombre dans différents points des villes, poursuit Stéphane Veyrat. Cela permettrait de continuer de faire tourner les cuisines collectives, d’assumer les engagements avec des paysans qui ont tout fait pour être de bons partenaires, et d’éviter de mettre du personnel de restauration compétent et engagé au chômage, même partiel. Et ce serait un type d’action avec un coup financier relatif pour les collectivités, car elles payent de toute façon leur personnel, mais pour ne produire qu’à 10 % de leur capacité nourricière. »
Trouver les bonnes solutions n’est pas simple lorsqu’une crise inattendue fait irruption. Mais il est légitime d’imaginer qu’il faudra bien, dans le fameux monde d’après, repenser certaines approches pour tendre vers des modèles résilients de territoires où le bien manger, bio, local, sain et juste, est une nécessité, voire une solution plébiscitée par les citoyens mangeurs.