Comment faire bouger le foncier agricole sur un territoire ?
Oléron, l'île qui a repris la main sur ses friches
Lauréate d’une Victoire des cantines rebelles en 2022 dans la catégorie « Friche rebelle », la communauté de communes de l’Île d’Oléron a fait de la politique foncière, de l’agriculture et de l’alimentation bio et locale les outils d’un renouveau plein de promesses.
Plus grande île métropolitaine après la Corse, Oléron est devenu un étonnant laboratoire de solutions alimentaires et agricoles. Le caractère insulaire du territoire, incitant de fait les habitants et les acteurs au dialogue et à une gestion partagée, joue sans doute pour une grande part dans cette transition.
Comme d’autres régions, Oléron a connu une lente et implacable érosion de son paysage agricole. À la fin des années 1960, la création du grand pont qui la relie au continent l’émancipe de son autarcie mais, en même temps, la fait entrer dans le tourisme de masse. L’île connaît ainsi des variations brutales de population, passant de 22 000 habitants l’hiver à près de 200 000 personnes l’été. À la même époque, la crise de mévente du cognac entraîne l’abandon de nombreuses parcelles qui se muent pour beaucoup en « terres à camper », cette particularité insulaire qui consiste à tirer des revenus locatifs de terrains, équipés très sommairement, auprès des touristes en van ou caravane.
Île de Cocagne et de polyculture
L’un des impacts de cette évolution se voit dans le paysage, avec un enfrichement important de ce qui constituait autrefois un paysage agricole prospère. « Oléron accueillait de nombreux céréaliers et l’île a compté jusqu’à 90 moulins à vent qui fabriquaient leur propre farine, rappelle Jérôme Pohu, coordinateur du service Agriculture durable et alimentationque la pêche et l’ostréiculture bien sûr. » Une île de Cocagne et de polyculture traditionnelle où le remembrement des années 1960 n’est pas vraiment passé, laissant un paysage très morcelé et plutôt subi par les exploitants agricoles.
communauté de communes de l’île. La vigne, le maraîchage, les marais salants et l’élevage extensif de races à viande complétaient l’offre, ainsiIl y a un peu plus de dix ans, les élus insulaires décident avec les acteurs agricoles du territoire de remettre le foncier en mouvement. Ils établissent un premier diagnostic précis de l’état du parcellaire et signent une charte de l’agriculture durable qui définit, en deux grandes idées, une stratégie traduisant la vision politique partagée sur l’île : et d’une, pas d’avenir sans une agriculture florissante qui maintient et développe les paysages typiques, et de deux, pas question de tout miser sur le tourisme pour vivre.
Quand la collectivité s’occupe de tout : achat, défrichage, remise sur le marché…
Pour s’investir dans les trois grands axes retenus (politique foncière, soutien à l’installation et relocalisation alimentaire notamment via les cantines), la communauté de communes créé d’abord une structure ad hoc qui occupe à ce jour trois équivalents temps-plein. La bonne idée, c’est d’y faire siéger d’emblée tout le monde : les services déconcentrés de l’État, les élus des communes, les organisations professionnelles agricoles, les acteurs économiques, les associations et les établissements publics, comme le Conservatoire du littoral. Les premières années, les efforts portent sur la reconquête des friches. Le diagnostic en a identifié pas moins de 2 000 hectares, au-delà des 3 700 hectares cultivés. Il s’agit pour l’essentiel d’îlots et d’enclaves disséminés au sein d’ensembles disparates et relevant d’une nébuleuse de petits propriétaires à retrouver, à contacter et, si possible, à engager.
Oléron, à la différence de l’île de Ré, ne dispose pas d’un droit de péage issu de l’exploitation de son pont, mais elle bénéficie d’un programme de soutien financier sous forme de subventions du Département de Charente-Maritime pour financer les acquisitions foncières. Autre force du programme : une fois rachetées ou mises en location, les parcelles sont réhabilitées par la communauté de communes (débroussaillage, abattage et désouchage), puis exploitées par des agriculteurs déjà installés ou souhaitant concrétiser un projet sur l’île, via des appels à candidature (notamment pour le foncier public). « On s’occupe de préparer la signature de baux ruraux ou de promesses de vente entre les agriculteurs et les propriétaires, il n’y a plus que la formalité du notaire à honorer », explique Bastien Jouteau, l’animateur foncier agricole, en lien permanent avec des centaines de propriétaires privés qui, de plus en plus, demandent conseil à la communauté lorsqu’ils ne savent pas quoi faire d’un héritage de parcelle égarée au sein d’une écriture notariée.
Maintenir un tarif accessible à la terre agricole
Sans cette mobilisation générale de la collectivité, les agriculteurs locaux seraient bien en peine de s’affranchir seuls de multiples tracasseries. « Là où je souhaitais agrandir mon exploitation en maraîchage de 3 000 m², confie Éric Gras, il m’aurait fallu négocier en direct avec 38 propriétaires de 28 parcelles différentes, essayer d’acheter, défricher et remettre en culture, c’est-à-dire que sans le concours de la comm comm, cela m’aurait été impossible. » Celle-ci est même parvenue, avec la Safer, à réguler les prix agricoles, en faisant respecter un barème admis de tous. « Les tarifs à l’hectare cultivable s’élèvent en moyenne de 3 500 à 5 000 € et c’est environ 2 500 € pour l’hectare de friche. Cela reste raisonnable à l’échelle d’une île où la pression touristique reste forte. Et lorsque le prix d’une terre à la vente est trop haut, on n’hésite à la préempter pour la réaligner sur le barème », ajoute Jérôme Pohu.
Le succès de cette approche politique volontariste, de nature à redorer le blason des collectivités lorsqu’elles mouillent le maillot, est au rendez-vous : plus de 180 hectares ont été réhabilités depuis le premier contrat signé en 2019, dont une cinquantaine cette année, pour le bonheur de candidats à l’installation eux-mêmes toujours plus nombreux. « Le fait d’avoir ouvert un guichet unique fait que les porteurs de projet et les acteurs nous identifient directement. Cela nous permet aussi de retenir les projets les plus aboutis car l’idée est de pérenniser des installations sérieuses et validées au préalable par les organismes habilités, comme le Gab 17 ou le point installation de la chambre d’agriculture », complète le responsable du service agricole communautaire.
Menu local et complet
Manger sur l’île d’Oléron reprend des couleurs, d’abord dans les cantines, où le bio local s’installe même si la communauté admet que des marges de progression sont encore possibles, et surtout sur les marchés de plein vent, nombreux à la belle saison. S’installer en maraichage à Oléron, c’est en effet l’assurance de vendre la quasi-totalité de sa production localement auprès d’une clientèle qui applaudit tous ces efforts de relocalisation. L’agriculture insulaire ne manque pas non plus de sel, une douzaine de sauniers tirent désormais leur revenu des marais réhabilités alors qu’ils avaient intégralement disparu il y a trente ans. En ce qui concerne la farine oléronaise évoquée plus haut, si les anciens moulins n’ont jamais repris leur activité, la communauté de communes a jugé opportun d’en réemployer un, à des fins muséographiques, tout en y relançant une production locale plus que symbolique : 36 tonnes de farine bio issue de variétés anciennes et locales. Les boulangers locaux prennent tout pour faire du bon pain local qui accompagne ainsi les huîtres, le vin, les fruits et légumes, le gros sel, la viande et depuis peu le fromage de chèvre. Et quoi d’autre ? À vrai dire, il ne manque quasiment plus rien à la table d’Oléron.
J.C.