Dans une cantine « hors les murs », à Perpignan

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13 avril 2023
Ils l'ont fait

Au Miam, venez (vraiment) comme vous êtes

Manger bio, local et collectif est-il un droit ? À l’heure de la crise qui dure, voilà une question qui s’invite dans le débat public. Issues de parcours très variés, trois personnes ont fait le choix de proposer une cantine populaire accessible à tous, associative et solidaire, au cœur de la ville de Perpignan, classée parmi les plus pauvres de France. Et si le bonheur était à portée d’une assiette partagée ?

 

Un article issu de notre revue « Jour de Fête #2 ». Textes et photos Julien Claudel.

Il est pile midi au 22 place Rigaud, pas très loin du « centre du monde » cher à Dali, le Miam installe ses convives. Ils sont une quarantaine à découvrir le menu du jour : céleri et chou en rémoulade, curry de lentilles, carottes, panais et topinambours, tarte aux pommes râpées. C’est bio, c’est frais, c’est bon, c’est préparé par une brigade de professionnels entourés de bénévoles. Et c’est pas cher : le repas est proposé à 7 euros, définition d’un prix d’équilibre qui permet de payer toutes les charges, mais pour ceux qui n’ont pas les moyens, et ils sont environ quatre mangeurs sur dix, deux euros suffisent. « Bien sûr si tu es plus riche tu peux mettre dix euros, un million, un milliard si tu veux, le prix est libre », sourit Wilfried, l’un des trois salariés et cofondateurs du Miam, en fait un acronyme pour Manger, Inventer, Accueillir, Mélanger.

Perpignan n’a pas connu le phénomène de gentrification et, dans le secteur, une population parfois bien démunie continue d’occuper les étages d’immeubles anciens aux vitrines définitivement baissées.

 

Celui qui se qualifie volontiers d’« animateur socio-culinaire » était dans une autre vie éducateur spécialisé, rompu au traitement et à la prise en charge de situations sociales délicates. Camille, la cofondatrice, sort de Sciences-Po Aix et possède un master en cinéma documentaire, elle fut aussi un temps chargée de communication à l’Observatoire international des prisons. Quant à Lia, la dernière recrue de l’association, c’est une jeune cuisinière formée à la prestigieuse école Ferrandi, ancienne membre d’équipage de bateaux de luxes pour touristes fortunés, qui a également tutoyé les toques étoilées de la gastronomie française.

Tous les trois ont choisi de tourner la page d’un passé déjà bien rempli pour relever un nouveau défi qui allie l’utile au jovial et, surtout, qui les nourrisse politiquement et intellectuellement : créer une cantine de quartier populaire, associative, bio et locale. Leur lieu de rencontre fort convivial, partagé avec le bar l’Atmosphère, se situe à la jonction des quartiers Saint-Jean et Saint-Mathieu, au cœur de la ville. Perpignan n’a pas connu le phénomène de gentrification et, dans le secteur, une population parfois bien démunie continue d’occuper les étages d’immeubles anciens aux vitrines définitivement baissées. Le taux de pauvreté local, 32 %, est plus de deux fois supérieur à celui du pays, et la cité compte neuf des dix quartiers prioritaires du département.

Tous les repas sont préparés à base de produits alimentaires invendus, issus des magasins et producteurs locaux (mention spéciale au réseau Biocoop, partenaire de la première heure). « On pense que récupérer des aliments, c’est mendier mais c’est une erreur, explique Wilfried. Les invendus, le non-consommé, c’est quelque chose de monstrueux dans la distribution alimentaire en France. »

Pendant les premiers confinements, usant des termes précis de la législation qui diffère de celle des restaurants commerciaux, le Miam a pu rester ouvert et fournir des repas à des bénéficiaires heureux de rompre leur isolement quotidien. Pas de pass ni de masque obligatoire et, malgré la pandémie, aucun cas de Covid à signaler. Dans un reportage des « Pieds sur Terre » sur France Culture, Camille déclarait alors que « certains considèrent que le pass nuit à nos existences collectives, qu’il construit une surveillance numérique problématique, et que c’est moins un outil de lutte contre la pandémie qu’une expérience de gestion de la population ». Voilà qui est dit.

Ils sont en effet nombreux à ne plus vouloir négocier les valeurs de partage et de main tendue dans un contexte de crise devenu permanent pour certains. C’est le cas de Pablo qui, comme la soixantaine de bénévoles actifs du Miam, trouve un nouveau sens à ses projets en aidant l’équipe. Ingénieur en systèmes informatiques, le jeune homme de 28 ans a quitté Paris et quelques premiers jobs pourtant bien payés. « Comme les étudiants d’AgroParisTech, j’ai déserté, je suis le cas classique de la prise de conscience qui refuse de continuer à vivre dans une société qui flingue l’écologie et le social. Mon rêve, ce serait de dupliquer l’expérience du Miam ou celle d’un tiers-lieu ailleurs dans le département. Sur le principe de l’Archipel, on pourrait créer plein de petites îles qui, progressivement, mailleraient tout le territoire. »

« L’assistanat, j’en bénéficie et je ne suis pas contre, mais il peut avoir des effets pervers. L’oisiveté fait perdre ses repères, avec souvent l’alcool en embuscade. »

Une autre bénévole, Nathalie, habitante de Prades, fait les aller-retours tous les jours pour donner un coup de main au service. Malgré les deux heures de route, elle reste fidèle. Sans emploi malgré d’incessantes recherches, elle explique que « ça ou rester chez moi à ne rien faire, j’ai choisi. L’équipe du Miam m’a aidée quand j’étais à la rue dans ce quartier, lorsque le propriétaire m’a foutue dehors parce qu’il voulait vendre l’immeuble. Camille a gardé mes meubles pendant que je cherchais un logement et a organisé mon déménagement avec sa camionnette. » À ses côtés Thierry, bénéficiaire du RSA et engagé au service de plusieurs causes (les Restos du Coeur, le Miam et une association d’aide aux détenus de la prison de Perpignan), explique les raisons de sa participation : « L’assistanat, j’en bénéficie et je ne suis pas contre, mais il peut avoir des effets pervers. L’oisiveté fait perdre ses repères, avec souvent l’alcool en embuscade. Je pense que proposer du travail aux bénéficiaires des minima sociaux, sans que ce soit obligatoire, est plutôt une bonne idée. »

Victime de son succès, mais tout juste à l’équilibre financier (le département des Pyrénées-Orientales verse 6 000 € par an et la Région Occitanie a donné un coup de pouce au démarrage), le Miam est désormais à l’étroit dans ses locaux partagés avec le bar. Un nouveau lieu lui permettrait de développer de nouvelles activités, alimentaires mais aussi culturelles et festives, toujours en lien avec les besoins mais aussi les désirs des habitants et des créateurs de l’association, laquelle assure aussi un service traiteur sur certains festivals de la région. « C’est l’expérience professionnelle la plus épanouissante et la plus forte que j’ai connue. Même si cette ville est dure sur le plan social, je m’y plais. Il y a beaucoup de misère, d’errance, de difficultés psychosociales non signalées officiellement, mais il y a aussi beaucoup d’entraide et de rencontres », conclut Camille, fermement décidée à continuer de mettre de l’huile dans les rouages sociaux de la cité catalane.

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