Laurent Mariotte : « Il faut retrouver le goût et la biodiversité de nos terroirs ! »
Animateur et chroniqueur culinaire (« Petits plats en équilibre » sur TF1, « La table des bons vivants » sur Europe 1), Laurent Mariotte animera pour la troisième année consécutive la cérémonie des Victoires des cantines rebelles, le 14 octobre à Paris. Un événement dont il est devenu pour cette édition l’un des membres du jury, au côté de Pascal Légitimus et bien d’autres.
Depuis que vous avez découvert en 2018 les Victoires des cantines rebelles, qu’avez-vous appris sur l’alimentation ?
Tout d’abord j’adore le contact avec ceux qui font, ceux qui agissent, ceux qui sont dans le concret. Et j’ai pu découvrir que la restauration collective est un monde qui créé des liens sociaux directs entre, d’un côté, l’agriculture et, de l’autre, les consommateurs. Pour de petits tickets repas, des gens formidables sont capables de réaliser des plats équilibrés, simples, pas chers avec des produits bruts issus des territoires, c’est une vraie performance !
Manger mieux, en collectivité comme ailleurs, c’est donc possible ?
C’est avant tout une question de volonté, oui. J’ai invité à une de mes émissions un chef de restauration collective du Béarn qui, pour 1,80 €, prépare des plateaux repas à base de produits bio et locaux. Pendant la crise du Covid, il ne s’est pas laissé aller, il a continué à produire pour des gens en télétravail, pour des enfants privés de cantine. Pendant le confinement, qui a pu révéler une fracture alimentaire pour des raisons sociales ou de pouvoir d’achat, je retiens que de nombreux foyers se sont remis en cuisine. J’ai, par exemple, doublé le nombre de mes abonnés qui venaient chercher chaque jour une de mes recettes pour les reproduire à la maison. Si la crise a eu un avantage, c’est bien celui de se remettre aux fourneaux !
« Quelle est l’origine de ce que je mange ? En posant simplement cette question, on fait déjà un bon pas, on entre en conscience et on peut faire évoluer ses pratiques. »
Laurent Mariotte
Vous pensez que la faiblesse du pouvoir d’achat entrave l’accès à une bonne alimentation ?
Ce serait une erreur de penser l’inverse, en tout cas on a habitué les citoyens à manger low-cost avec des produits issus de l’agro-industrie venus du bout du monde, au point qu’il est presque impossible de savoir d’où vient ce que contient notre assiette. C’est pourtant la première question à se poser : quelle est l’origine de ce que je mange ? En la posant simplement, on fait déjà un bon pas, on entre en conscience et on peut faire évoluer ses pratiques, en remettant le goût, la biodiversité, la richesse et la variété de nos terroirs en avant. Il faut arrêter la « bouffe » low-cost, comme il faut en finir avec la spécialisation agricole des régions productrices, qui a fait disparaître la polyculture d’autrefois. La Bretagne avec ses porcs, la Sarthe avec l’industrie volaillère, le maraîchage intensif en Val-de-Loire, tout cela mérite d’être revu. Je comprends qu’à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale, il fallait nourrir la population et qu’on a fait des choix qu’on pensait alors être les bons. Mais il résulte de ces hyper-spécialisations et, aujourd’hui, de la mondialisation des échanges, une logique qui nous a éloignés de nos productions locales. Nous devons acheter au juste prix des produits qui rémunèrent la paysannerie, laquelle a un rôle alimentaire mais pas seulement, comme dirait Marc Dufumier. Il faudrait même la payer pour le service d’intérêt général qu’elle rend dans l’entretien des paysages, la protection des nappes phréatiques, etc.
C’est pour cela que les acteurs qui misent sur la qualité dans la restauration collective me semblent très importants, car ils font passer le message d’une alimentation équilibrée, saine et très économique, et à cet égard les objectifs de la loi EGAlim vont aussi dans le bon sens.
Si je vous dis « démocratie alimentaire », ça vous inspire quoi ?
Ce sont deux mots qui m’emballent ! Ils appellent à se réapproprier nos territoires et à cultiver les différences, à rechercher ce qui se fait de bien dans nos régions pour en faire profiter le plus grand nombre. J’arrive à l’instant en Dordogne, du côté de Bergerac, où je vais tourner des émissions d’été sur la cuisine du sud-ouest. En roulant, je vois tous ces vignobles avec leurs cépages caractéristiques, et je pense à ces vignerons qui se mettent à travailler différemment, qui font des vins de plus en plus nature. C’est aussi ça, le goût et la biodiversité. La France a des richesses à valoriser, elle aurait tout à gagner à s’inspirer de son voisin italien. La péninsule est un exemple, elle a réussi à maintenir et préserver ses traditions agricoles et culinaires, c’est aussi elle qui a impulsé le mouvement SlowFood…
Je suis donc de nature optimiste pour dire qu’on va dans le bon sens, même s’il y a toujours le danger que, pour des raisons sociales et de pouvoir d’achat, tout le monde n’ait pas accès à une meilleure alimentation. En ce sens, la démocratie alimentaire doit s’adresser à tout le monde !
Recueilli par Julien Claudel
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