Le microbiote, nouvel eldorado de la santé publique ?

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16 février 2023
Analyses

Depuis qu’on a réussi à dresser le génome complet du microbiote intestinal, on commence à comprendre que remettre du vivant dans l’alimentation, c’est améliorer la santé publique et contenir, à terme, l’explosion des maladies chroniques.

Mais comment renouer avec ces milliards de bactéries qu’on a délibérément chassées de nos menus, autant par conviction que par ignorance ?La réponse avec cet article extrait de notre revue qui met tout le monde à table « Jour de Fête » #2

Textes Julien Claudel, illustrations Julie Jup.

Bactérie is back !

Levures, bactéries, champignons... vous en reprendrez bien une louche ?

Idées reçues

Casser des œufs au sein d’une cuisine de cantine pour préparer une omelette géante ? Malheureux, vous n’y pensez pas, c’est interdit ! Introduire du lait cru dans une préparation pâtissière pour les convives ? Vraiment, vous aimez jouer avec le feu ! Voilà, parmi d’autres, deux grandes idées reçues qui persistent chez les acteurs de la restauration collective. Le vivant, oui, mais pas à trop forte dose. Mais que s’est-il passé pour que de telles fausses croyances s’installent durablement dans nos paysages alimentaires ? Et comment en est-on arrivé à réduire aussi drastiquement la variété de nos flores intestinales ?

La peur panique de la toxi-infection alimentaire collective, l’imposition de normes d’hygiène drastiques parfois excessives et la mise en place de protocoles stricts dans la fabrication des repas ont fait de l’alimentation (ou disons, celle de type industriel) le siège du recul du vivant, pour le bien présumé de la santé publique mais pour le pire de la biodiversité microbienne qui peuple nos intestins. De nombreuses recherches récentes le démontrent depuis une dizaine d’années, et tout spécialement depuis la caractérisation de l’ensemble des génomes des milliards d’habitants du microbiote intestinal : le monde des bactéries regorge de vertus insoupçonnées. Il est ainsi établi qu’elles participent directement à une bonne digestion, qu’elles protègent de certaines maladies et régulent le système immunitaire, qu’elles sont à la base de la fabrication de certaines vitamines. On dit même qu’elles agissent directement sur l’humeur. « On sait maintenant que la population avec un microbiote fragile est plus à risque de développement et d’aggravation de maladies chroniques », confirme le chercheur en écologie microbienne Joël Doré dans un documentaire sur Arte.

Le microbiote des populations traditionnelles
plus riche que celui des Occidentaux

Des recherches très sérieuses conduites chez des peuples aux modes de vie traditionnels de Tanzanie et d’Amazonie, à partir d’une série d’analyses de leurs selles, ont également démontré qu’ils possédaient des microbiotes deux fois plus riches et variés que celui des Occidentaux moyens, que ceux-là soient japonais, français ou américains. Leur très grande consommation de fibres et le maintien d’une alimentation diversifiée et vivante semblent expliquer au moins en partie ces différences et leur plus grande résistance aux maladies dites de civilisation (diabète, obésité, stress oxydatif et troubles cardio-vasculaires). Depuis ces découvertes, de très nombreuses start-up se sont lancées, dans le monde entier avec la France en tête, à l’assaut du marché prometteur des nouvelles bactéries bienfaisantes.

"Le lait, devenant de plus en plus stérile, permettait d’autant moins de faire des fromages au lait cru", explique la chercheuse Élise Tancoigne.

Quand le lait cru redoute l’excès d’hygiène

Élise Tancoigne, chercheuse en histoire et sociologie des sciences à l’université de Lausanne, a beaucoup travaillé sur les bactéries laitières, observant la façon dont la réduction de la biodiversité microbienne a émergé au milieu des années 1970 comme un véritable problème pour les éleveurs et transformateurs laitiers, notamment dans les filières du reblochon et de l’emmental suisse. Ces fromages au lait cru ont été confrontés à une lente érosion de la richesse de leur flore native. « On s’est aperçus que la traite mécanique avec un lait passant dans des tuyaux ultra-désinfectés ou que le changement des contenants comme les seaux en bois au profit de l’inox ont contribué à la perte de richesse et de variété des ferments et des bactéries dont chaque ferme avait sa spécialité, résume la chercheuse. Cette perte était directement menaçante pour l’avenir des fromages. » Ce n’est pas tout, la loi dite Godefroy du 3 janvier 1969 institua aussi un paiement du lait en fonction de sa qualité : plus un lait était chargé en microbes, moins il était payé. « Le lait, devenant de plus en plus stérile, permettait d’autant moins de faire des fromages au lait cru comme ces fameuses AOP. » À tel point que chercheurs et fromagers ont décidé de reconstituer patiemment toute une banque de souches bactériennes, du côté français comme du côté suisse, que l’industrie conventionnelle des ferments était incapable de fournir. Parallèlement, l’autre bataille a mener fut européenne, lorsque la directive sur le commerce des produits laitiers faillit « signer la mort des fromageries traditionnelles », rappelle Élise Tancoigne. « Le texte leur assignait une obligation de moyens et non de résultats, en imposant par exemple des murs « lisses et imperméables » dans toutes les caves d’affinage. C’est à partir de ce moment que des collectifs militants se sont développés pour démontrer la méprise, qui ont par exemple prouvé qu’un affinage sur des planches de bois, par le développement d’un biofilm naturel, empêchait la formation de la listeria, ce qui n’était pas le cas avec l’inox ou le plastique. » Faut-il voir dans cette approche l’influence des pays du nord de l’Union européenne, lancés dans le tout pasteurisation depuis des années quand ceux du sud continuaient de plaider pour la tradition du lait cru ? Le Danemark lui-même a banni ce dernier dès les années 1 900 pour la production de beurre et de fromage.

La liste des études s’allonge sur la balance bénéfice-risque au profit d’une consommation de produits vivants, fermiers et bio.

Vive la campagne !

Le retour de la bactérie, et plus précisément de la nécessité de réenchanter la densité de la flore intestinale humaine, apparaît de plus en plus souhaitable. Immunologistes et experts en microbiologie s’accordent à penser que la santé publique future sera intimement liée à une modification du contenu de nos assiettes. Une illustration ? Dans la cohorte « Pasture » conduite par un collectif de chercheurs européens, constituée d’un panel de 1 000 enfants de cinq pays dont la moitié vit à la ferme, la professeure d’immunologie de l’Université de Franche-Comté Dominique Angèle Vuitton a démontré que la consommation de lait cru dès le plus jeune âge, ajoutée au fait d’être exposé à un mode de vie rural fermier, réduisait de manière très significative l’exposition à certaines maladies chroniques comme les allergies. Et la liste des études s’allonge sur la balance bénéfice-risque au profit d’une consommation de produits vivants, fermiers, bio et faisant appel à des procédés de fabrication traditionnelle : c’est le moment ou jamais de les réintroduire à la table familiale et dans les cantines !

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