«Il faut évoluer vers une alimentation plus végétale et bio»
Directeur de recherche émérite à l’Inserm, Denis Lairon vient de publier « Manger sain et durable, de notre assiette à la planète », un livre très documenté qui encourage à changer de comportement alimentaire, dans la perspective d’un monde où le modèle dominant actuel, si on ne fait rien, ne pourra pas tenir très longtemps.
Pourquoi publier ce livre, on serait même tenté de dire pourquoi un livre de plus sur une meilleure alimentation ?
En tant que scientifique spécialisé depuis des années dans le domaine de l’alimentation durable et de ses effets sur la santé, le climat et l’état de la planète en général, j’ai été amené à lire et j’ai participé à de nombreuses études relatives à l’alimentation. Pourtant, à ma connaissance, il y a des années qu’un livre faisant une synthèse de tous ces travaux dans le monde n’avait pas été édité en français. Mon but est donc de porter à la connaissance des lecteurs, des citoyens et des décideurs, le résultat de ces constats, de ces recherches, et de faire part, aussi, des pistes de solution qui nous permettront de sortir d’un système alimentaire à bout de souffle.
Votre ouvrage est assez noir dans sa première partie, vous posez de nombreux indicateurs qui démontrent que rien ne va plus, mais plus du tout, dans notre assiette. Ce serait si grave ?
La réponse est oui ! Et la nouveauté est qu’il se dégage désormais un consensus mondial d’une grande cohérence, ce qui n’était pas forcément toujours le cas avant. Les positions de la FAO, les rapports du Giec, le comité d’experts de l’Onu ou encore les travaux de chercheurs spécialisés dans différents domaines convergent tous vers le même constat : si on continue comme ça, on va droit dans le mur qu’on le veuille ou non et on compromet l’avenir.
Le problème est que l’information parvient de manière très parcellaire aux citoyens. Oui, la malnutrition sous toutes ses formes ne diminue pas ! Certes, ils ont bien pris conscience que quelque chose va de plus en plus mal, mais ils ignorent pour beaucoup le niveau de gravité qu’on a atteint. Et là-dessus, pas de doute possible. Regardez l’épidémie qu’on traverse, pour la première fois et de manière totalement inédite elle a mis à l’arrêt les pays développés. Pourtant, les interactions dangereuses de l’homme avec l’environnement ont déjà généré ce type de situations -Ebola, le Sars, etc.- qui, malheureusement, devraient logiquement se multiplier dans les années et décennies à venir.
« En France comme ailleurs, les Trente Glorieuses ont parachevé cette évolution où les citoyens mangeurs sont devenus les sujets d’un système qui leur échappe, régulé par la finance qui a pris la main sur le marché de l’alimentation. »
Denis Lairon
Votre constat montre qu’il faut changer d’urgence nos comportements et nos modes de production alimentaires. Pour quelles raisons ?
En moins de deux générations, dans les pays développés, on est passé d’un mode alimentaire traditionnel au système ultra-dominant d’une alimentation de type industriel dans un contexte de globalisation. On oublie de le remarquer mais c’est un phénomène très récent et d’une grande brutalité, qui touche aussi des pays émergents ou de grands pays comme la Chine. Résultat : la consommation mondiale de produits animaux (viande et produits laitiers) a été multipliée par deux. Du côté de la production, cela se traduit par une déforestation pour gagner sur les terres cultivables dont on n’imagine pas ni l’ampleur ni les dégâts, tandis que l’usage des pesticides, que mes grands-parents ne connaissaient pas, a littéralement explosé. En France comme ailleurs, les Trente Glorieuses ont parachevé cette évolution où les citoyens mangeurs sont devenus les sujets d’un système qui leur échappe, régulé par la finance qui a pris la main sur le marché de l’alimentation et où les politiques eux-mêmes, souvent mal ou très peu informés, ne savent plus prendre les bonnes décisions !
Heureusement, de bonnes nouvelles apparaissent de temps en temps. Au-delà du consensus mondial évoqué plus haut, en France les recommandations officielles, celles du Haut conseil de santé publique et du dernier PNNS (Programme national nutrition santé), vont dans le bon sens d’une alimentation plus végétale, moins raffinée et plus bio.
Justement, pour nous donner un peu d’espoir, comment décririez-vous le contenu de l’assiette idéale du futur ?
On n’y coupera pas : il faut évoluer vers une alimentation plus végétale et bio ! Il ne s’agit pas de se priver de viande ni de culpabiliser les consommateurs, mais l’idée est bien de se rapprocher de nos comportements d’avant les dérives de l’agro-industrie et de la consommation sans repères, et même pourquoi pas de suivre les traditions de pays dits pauvres qui ont majoritairement gardé le même modèle alimentaire. On croit que ce changement est difficile à atteindre, il ne s’agit pourtant que d’accepter une évolution culturelle et progressivement de changer ses choix alimentaires.
« Pour boire, revenir à l’eau, un peu de vin comme dans le régime méditerranéen mais éviter, surtout, les boissons sucrées et les sodas, véritables bombes à retardement. »
Pour l’assiette, je dirais qu’il faut inverser ce qui fait, depuis des lustres, la réputation de la gastronomie française : le végétal doit devenir la base du repas et la viande, un simple accompagnement. Ainsi en entrée, favoriser les crudités, source de vitamines indispensables. Pour le plat, privilégier les légumes cuits, les céréales, les légumineuses. Ne pas hésiter non plus à manger des fruits secs comme les noix, les amandes, dont la consommation est devenue extrêmement marginale aujourd’hui. Voilà pour la base d’une bonne diète et, pour les produits d’origine animale, manger des œufs, un peu de produits laitiers et, côté viande et charcuteries, réduire et privilégier celles qui génèrent moins de gaz à effet de serre et de pollution que l’élevage des ruminants, donc plutôt la volaille et le porc, et en veillant à exiger la qualité du cahier des charges : bio, extensif, plein air…
Pour boire, revenir à l’eau, un peu de vin comme dans le régime méditerranéen mais éviter, surtout, les boissons sucrées et les sodas, véritables bombes à retardement. C’est un des dangers de santé publique majeurs, d’une gravité qu’on ne devine pas : l’excès de sucre favorise l’obésité et le surpoids qui touchent une personne sur deux en France ainsi que le diabète de type 2 (5% de la population malade) .
La contamination usuelle des aliments et boissons par des dizaines de pesticides de synthèse est aussi un problème important de santé publique, qui doit nous faire choisir des productions de l’agriculture biologique. .
Mais vous voyez qu’avec une telle assiette, ce n’est pas si culpabilisant et que la cuisine peut rester une fête ! Voyez comment en Inde, en Thaïlande, ou même plus près de nous au Liban, il est bon de manger des plats extrêmement nutritifs, parfumés, colorés et goûteux… sans qu’il y ait besoin de viande à tout prix. Je suis d’autant plus à l’aise pour vous dire cela que je ne suis pas, sur le plan alimentaire et à titre personnel, sur des positions radicales.
Recueilli par Julien Claudel
Denis Lairon, « Manger sain et durable, de notre assiette à la planète », préface Serge Hercberg, éditions Quae, 152 pages, 18 €